Peut-être bien qu’elle a fait une connerie.
Eden, elle est là, roulée en boule dans son lit, l’estomac au bord des lèvres. La scène se joue dans sa tête, encore et encore. Morte, on lui a annoncé. Morte. Ca fait mal, terriblement mal, que ça cesse par pitié. Elle prend une grande bouffée d’air, mais elle tousse. Elle s’étouffe, c’est bloqué, pitié, stop. Elle n’en veut plus, elle veut que ça cesse, elle va pleurer. Non, non, elle ne pleurera pas, c’est pas elle ! C’est pas elle, c’est pas de sa faute ! Elle veut l’oublier. Mais non, conneries, elle n’a rien à oublier. C’est pas elle, bon sang !
Pourquoi son ventre se contracte comme ça ? Pourquoi elle a l’impression que sa tête va exploser ? Ses tempes sont comme compressées, elle a tellement chaud. Il fait chaud, trop chaud pour un soir de janvier, c’est normal ? Le chauffage doit être trop élevé, oui, c’est ça. Mais elle n’a pas de chauffage dans sa chambre, elle veut hurler. Elle transpire, elle roule dans sa couette. Côté droit, côté gauche, sur le dos, le ventre, elle mord son oreiller. Elle a un nouveau spasme, mais non ! Non, non, elle ne pleurera pas, non. Elle n’a pas le droit de pleurer, puis pourquoi elle devrait pleurer ? C’est pas elle !
Eden, elle la connaissait pas trop en plus, Samantha Miller. C’est pas de sa faute si elle est morte. Dites lui que c’est pas de sa faute, par pitié, faites taire ces voix dans sa tête. Alors c’est ça la culpabilité, les regrets, les remords ? Elle n’en veut pas, ça fait beaucoup trop mal, elle n’en peut plus. Elle est à bout de force. Stop, stop, stop !
Elle se lève, elle vacille, elle va vomir, elle le sait. Elle l’imagine parfaitement, avec ses grands yeux verts et ses cheveux courts. Elle la voit, elle est là, et elle ouvre le tiroir de sa table de chevet. Elle en sort une boîte de somnifère, non, non, non ! Non, elle est plus là, mais c’est pas de sa faute ! Elle a rien fait Eden, elle a juste tellement chaud, c’est insupportable. Elle se débarrasse de sa chemise de nuit, et s’accroupit au sol, elle s’assoie même, le carrelage est frais.
Elle prend sa tête entre ses mains, trop, trop d’images qui reviennent, trop de souvenirs. C’est pas elle. Pourtant elle se revoit, elle se souvient avoir rit de cette fille, elle se souvient l’avoir rejetée sans remords le jour où Samantha avait voulu sortir avec elle. Mais Eden, c’était pas une lesbienne, elle allait pas lécher des chattes juste pour elle ! Elle avait pas à se foutre en l’air parce que Eden elle voulait pas d’elle, ça n’avait pas de sens. Mais peut-être qu’Eden, elle aurait pas du rire, peut-être qu’Eden, elle aurait du arrêter de la pousser dans les couloirs à chaque fois qu’elle la voyait, et même que certaines de ses "plaisanteries" ressemblaient fortement à de l’homophobie parfois. Du harcèlement, de la persécution. Peut-être que si elle n’avait pas fait tout ça, alors tout le lycée ne se serait pas mis à détester Samantha, et alors Samantha serait encore vivante à l’heure qui l’est. Peut-être que si en fait, c’est bien sa faute si elle est morte. Peut-être bien qu’elle a fait une connerie.