L'endroit c'est comme un hôpital.
(J'ai entendu parler de ces bâtiments blancs et tristes.)
Je le vois bien depuis que je suis petit.
Les journées sont ponctuées d'allées et venues qui se suivent et qui se ressemblent. Il y a eu une vague de nouveaux arrivants récemment mais c'est comme si on avait juste changé la tête des anciens en fait. Toujours les mêmes petites gens brisées. Aux corps cassés, coeurs maltraités, têtes à l'ouest. Et parfois on me dit, et toi alors, toi t'as quoi, Simon toi ? C'est la tête, le corps, le cœur, ou les trois à la fois ? Mais moi j'ai rien. J'ai rien fait. Je fais rien. Je suis rien. Qu'une coquille vide.
Dans cet hôpital, je suis spectateur c'est tout.
Eryn, quand elle est passée devant ma porte pour la première fois, je l'ai reconnue. Mais c'était pour une autre raison.
Eryn, elle est passée dans le journal.
Eryn, aux thérapies de groupe, elle a pas eu à nous dire pourquoi elle était là, de quelle planète elle venait, tout ça. On savait. Déjà. Enfin pour ceux qui s'intéressent aux nouvelles. On savait, on avait même vu sa tête déjà. Célébrité à l'endroit.
Eryn, je voudrais l'aimer.
Enfin, je voudrais qu'elle me laisse faire.
Je suis pas sûr de pouvoir la sauver mais je peux au moins essayer.
Si je pense à tout ça c'est parce qu'elle est là, sur la balançoire, elle vole. Ça doit lui faire bizarre, elle qui a toujours l'air d'avoir trop d'espace. C'est marrant. Moi aussi je sais ce que c'est que d'être enfermé. Je le suis. Ici. Même si personne me retient. Je voudrais lui dire : ça fait quoi de sortir. Mais jamais j'ose. Parce qu'on dirait que c'est pas si joli comme sentiment. Elle a toujours l'air d'avoir peur. De manquer d'enfermement.
- Qu'est-ce que tu fais ici Simon ?
Eryn on dirait qu'elle est jamais contente de me voir.
Ça me freine un peu dans mes instincts de super héros.
Eryn elle se débat avec moi, ça se voit pas mais c'est ce qu'elle fait à peu près chaque fois qu'on se voit. Elle s'enfuit. Moi je la poursuis mais elle court plus vite que moi alors c'est pas facile. Tout ça c'est une métaphore pour dire qu'elle veut pas. Elle veut pas me parler.
- Rien.
C'est ça qu'il y a de bien avec moi.
Je fais jamais rien.
Alors je suis toujours partant pour faire quelque chose avec les autres. Avec Eryn.
- Tu m'apprends à voler avec la balançoire ?
Je l'ai vue faire, c'est comme ça que je l'ai remarquée, elle avait l'air d'un oiseau genre hirondelle. Avec ses jambes battant le ciel pour aller plus vite. Et puis ses cheveux qui s'emmêlaient dans le vent. Je veux savoir faire ça aussi. Voyager un peu.
Si elle veut pas me parler c'est pas grave.
On va faire autre chose.

Spoiler:

(Re)lève la tête, Eryn !
Elle qui part toujours cacher son menton dans son cou. Elle a toujours envie de vouloir disparaître, je comprends pas, elle a pourtant un quelque chose dans les yeux et si elle gardait la tête droite elle ferait des ravages avec son quelque chose, elle sauverait des gens si ça se trouve, ce serait une super héroïne.
D'ailleurs, elle vole déjà.
Et une pluie de ses mots me tombe dessus. J'aime bien être pieds nus, tu peux sentir l'herbe qui te chatouille les orteils. Je l'ai jamais entendue parler autant, à n'importe qui, à moi. Et puis tu pourras décoller, voler. Elle fait son truc dans son coin, vole parfaitement comme il faut et moi je m'emmêle alors j'enlève mes chaussures mes chaussettes.
Tape du pied.
Toujours pas oiseau.
- Prends ton temps. Tu verras, ça en vaut le coup. On se sent bien après ça. Je me dis qu'il n'y a pas d'âge pour se balancer un peu de temps en temps.
Temps. Temps.
J'en ai du temps.
On a tous le temps ici, on a rien à faire d'autre qu'avoir le temps, prendre le temps, laisser faire le temps. Mais moi ce que je veux c'est voler tout de suite voler maintenant, sinon Eryn elle va s'échapper de moi, déjà je la trouve de plus en plus loin, elle qui envoie des étoiles sur tout le monde avec ses jambes qui battent l'air pour aller plus haut.
C'est une fée-fleur-fantôme.
Eryn j'aurais jamais la prétention de la sauver. Même pas d'essayer. Elle est trop cassée. Y a des morceaux d'elle partout par terre et je saurais pas par où commencer. Il faudrait qu'on s'y mette à dix au moins, et je suis pas sûr que les autres ils seraient d'accord, ils sont trop occupés à désinfecter leurs propres cicatrices et je peux pas leur en vouloir. Et puis Eryn au final, Eryn et ses blessures de l'avant-endroit, je les connais que d'après les journaux.
Si ça se trouve ils ont menti ?
Au bout d'un moment il faut juste faire sursauter sa vie.
Mais je sais pas si j'ai le droit de lui dire ça.
- J'y arrive pas.
Je suis un avion trop lourd qui peut pas décoller. Trop de passagers dans le cœur.
- J'suis pas aussi fort que toi.
On dirait vraiment qu'Eryn, si elle était pas sur cette balançoire en train de se propulser vers le haut pour voir de plus près les oiseaux (voire en devenir un), eh ben, elle mourrait. C'est peut-être pour ça que j'y arrive pas, moi. Parce que pour moi c'est pas très grave de pas y arriver à la balançoire. Je peux toujours aller voir ailleurs faire autre chose.
Alors moi je la regarde.