Mon esprit est une page blanche.
Tous mes souvenirs. Envolés.
Comme s'ils n'avaient jamais existé.
Comme si je n'avais jamais existé.
Je ne me souviens de rien.
Il parait que je me suis appelée Marianne pendant mes vingt-et-un premiers printemps. Je me suis détachée de ce prénom, choisissant Manon pour nouvelle identité. Un pur hasard, en fait. Lorsque je suis sortie de ma léthargie ; mes yeux se sont en premier posés sur la couverture d'un livre. Manon Lescaut. Un si beau titre... Je n'ai pas encore eu l'occasion de découvrir son histoire ; il faut dire que je n'en ai pas eu vraiment le temps.
Quand j'ai quitté mon long sommeil, il me fallut toute une série de rééducation. Puisque mon état psychique ne dépendait que de moi, il fallait qu'on s'occupe de mon physique. Tant de mois d'inactivité avaient rendus mon corps fragile. Mes membres étaient filiformes; je n'étais plus qu'une masse d'os menaçant de plier au moindre effort. Et malgré tous ces exercices, je reste de santé frêle. Je suis maigrichonne, ma peau est diaphane et des cernes me mangent souvent les joues.
Les médecins disaient que j'avais subi un grave traumatisme. Que ma mémoire finirait par revenir tôt ou tard. Que ce n'était qu'une question de jours ou de semaines.
Voici six mois que je suis une page blanche.
Et ça me ronge.
Comment vivre aux côtés d'une mère qu'on ne reconnait plus ? Comment continuer à avancer alors que le chemin qu'on a parcouru nous est inconnu ?
Il parait que j'ai eu une belle vie. Mais qui s'en soucie ? Je ne m'en rappelle même plus.
Il parait que j'ai une mère aimante et attentionnée. Un frère toujours présent et veillant sur moi. Un petit-ami charmant continuant de guetter la flamme qui a longtemps brillé dans mes yeux.
Tous sont des inconnus. J'ai l'impression qu'ils attendent trop de moi. La pression cumulée depuis le moment où j'ai quitté mon coma est trop dure pour mes frêles épaules. Je ne pouvais plus vivre à leurs côtés.
J'avais besoin de fuir. Me retrouver avant de confronter les Autres.
L'Endroit m'a ouvert ses portes. Je ne cherche pas à me souvenir. Juste à bâtir un nouvel édifice bien solide qui ne s'ébranlera pas à la moindre secousse.
Abandonner Marianne et laisser Manon s'épanouir.