Elle est belle, Daniella. Et puis, elle est grande.
Ses cheveux lui tombent sur le visage, glissent sur ses seins, ses bras. Elle les envoie dans son dos ; ils retombent, forment une boucle veloutée. Mais lui, il ne voit pas, il n'entend pas. Pourtant, elle est pas tétraplégique, elle fait de grands gestes en restant immobile, et ça crève les yeux. Mais personne  ne comprend, parce qu'elle est muette, Daniella.
Elle est belle, Daniella. Et puis, elle est grande.
Ses yeux sont noirs, noirs comme une nuit sans étoile, couvert d'un voile affalé dans une tristesse trop grande qui renvoie un reflet sublime, sublime et terrible. Alors elle essaie, Daniella, avec toute la force que lui a donné Dieu, et chaque soir elle prie, et l'espoir et la ferveur s'échappent de la moindre des pores de sa peau, et ils se mélangent à l'air déglingué par les paroles silencieuses de Dani'. Ils s'apprivoisent, tous, tous les tous, ils engendrent une odeur de rancœur tuméfiée.
Elle est belle, Daniella. Et puis, elle est grande.
Et elle travaille, parce qu'on lui répète, à Daniella, encore et encore, ils lui disent qu'elle est mal tombée, noire, noire et muette, cette petite n'a pas d'avenir. Son cœur se serre, ses poings se serrent. Sa détermination se serre aussi, fait de la place à une nouvelle arrivante, la volonté sans faille. Et chaque jour, elles travaillent, et quand elles ne travaillent pas, elle regarde le ciel. Et elle pense.
Elle est belle, Daniella. Et puis, elle est grande.
Un peu trop pour les pions des Rois et Reines du trop grand échiquier d'la vie. Alors, ils obéissent. Dans c'bas monde, on a pas l'droit d'être aussi transcendante, c'en est presque ineffable. Coup sur coup, bas et haut se mélangent. Le ciel tombe, la terre s'envole. Elle plonge son regard dans les leurs, tous, tous en même temps, et ça les fait rire, et ça la fait pleurer, Daniella.
Elle est belle, Daniella. Et puis, elle est grande.
Tellement belle, tellement grande. Parfois, 'y avaient peur que la force de son âme ne les submergent, ne les suffoquent. Maintenant, ces enfoirés sont soulagés. Elle est partie, Daniella. Elle a laissé un mot, elle a laissé son cahier de couleurs, ces crayons bleus, rouges et violets, elle a effacé tout ses dessins qu'ils avaient fait sur son corps. Elle est monté dans ce petit bus jaune, usé et rayé, et elle est partie, là où ils ne pourraient plus revendiquer sa silencieuse supériorité inconsciente.
Elle est belle, Daniella. Et puis, elle est grande.
Elle est bien arrivée, Daniella. Et elle est bien décidée à vivre, à apprendre comment on fait, à découvrir des gens et à se faire découvrir. Elle a gagné, Daniella. Mais ça, ils ne le savent pas.