http://paloalto.forumactif.org/t759-saw-him-smile-not-only-with-lips-but-eyes-pablo

Il dit qu’il sait pas.
Je ne réponds rien. Mes yeux continuent de visualiser chaque morceau de sa chambre. Mes oreilles écoutent sagement la musique qui passe et qui occupe la pièce quand on reste silencieux. Ça me fait du bien d’être allongé là, le crâne enfoncé dans un oreiller, le corps étendu sur un matelas et quelqu’un à côté de moi. C’est que je bouge tout le temps, je m’arrête jamais de courir, de sauter, de marcher, de crier, de râler, de rouspéter après la vie. Et là, pour une fois je ne fais rien. Je regarde, c’est tout. Je parle un peu, mais tout doucement. Et je ne fume même pas.
(merci Pablo)
- Qu'est-ce que t'aimes ?
Je sens ses yeux qui se posent sur moi alors je fais pareil. Je tourne la tête de son côté et je le regarde. Je regarde ses cheveux un peu en pagaille, sûrement pas peignés et encore dérangés de sommeil.
Sa question me pose un peu une colle. Je sais pas ce que j’aime. Enfin si, je sais. J’aime un milliard de choses plus ou moins fort. J’aime passer du temps avec lui. J’aime surtout la nuit. J’aime mon vélo. J’aime le grand frère quand il est gentil et qu’il ne me cogne pas. J’aime la vie quand elle est gentille et qu’elle ne me cogne pas.
- Un tas de choses. Genre me promener la nuit. C’est la numéro une sur le podium. C’est quelque chose, la nuit, c’est quelque chose … T’aimes quoi, toi ?
J’ai arrêté de le regarder.
Parce que quand j’ai évoqué la nuit mes yeux se sont tournés vers le plafond. Ils l’ont imaginé noir et plein d’étoiles avec un morceau de lune pour nous éclairer, aussi.

- J'aime les bateaux et ... la chanson qui tourne en boucle, là. J'aime la nuit depuis que je te connais. Et puis pleins d'autres trucs ... Je te ferai une liste un jour.
Ça me fait sourire.
Je pense aux bateaux. Je crois qu’on en a parlé la vraie première ou la deuxième fois que l’on s’est vu. Quand il m’a demandé ce que je voulais faire quand je serai grand. Adulte. J’avais été étonné parce que je l’aurai bien imaginé médecin ou alors écrivain. Mais je crois que Pablo il devrait être médecin du cœur. Mais pas celui qui travaille dans les hôpitaux, plutôt celui qui répare les gens. Avec ses doigts minutieux, ses mains de filles, pour dire ça va aller, c’est fini le noir, maintenant il faut se dire qu’il fera soleil tout les jours, il faut penser aux belles choses, aux choses qu’on aime, celles qui éclairent le cœur.
Pablo devrait faire des choses comme ça.
- J'aime bien être là avec toi.
Oh.
- Moi aussi.
En fait, il y a quelque chose que j’aimerais lui dire, à Pablo.
- Tu sais, je crois qu’il faudrait pas chercher à mettre un terme sur notre relation. Je crois aussi qu’il faudrait seulement se contenter de faire ce que l’on veut, tous les deux, sans gêne, sans se demander quelles répercussions ça va avoir et tout ça.
J’espère qu’il me comprend.
Ce que je veux dire c’est que j’aimerais qu’il arrête de penser qu’il est amoureux de moi et que je pourrais tomber amoureux de lui. Je veux juste qu’on vive et qu’on se contente d’être Pablo Paradise et Sal Paulson. Moi je veux pouvoir le toucher et l’embrasser sans qu’après il se triture le cerveau en se demandant si oui ou non mon cœur bat pour lui plutôt que pour quelqu’un d’autre. Je veux juste être moi. Mais être moi avec lui. Je voudrais aussi qu’il comprenne qu’il peut m’embrasser, parce que je le repousserai pas.
Ça me dérange pas.
Il ne me dégoûte pas.
Je m’habitue à son corps de garçon, tout doucement.
Mais je peux pas lui dire ça.

Il a l’air bizarre, Pablo.
Il a l’air bizarre parce qu’il ne dit rien. Peut-être qu’il voulait pas entendre ça. peut-être que ça le fait pas plaisir. Peut-être qu’il voulait que je lui dise que je l’aime, que je suis amoureux de lui, très fort, très grand, avec des étoiles, des millions d’objets cosmiques et aussi quelques papillons.
Et puis d’un coup, comme ça, j’ai le visage de Pablo dans mon champ de vision. Pablo assis sur moi. Et ses joues sont rouges, rouges, rouges. Il a des miettes de sourire sur sa bouche.
- En fait tu veux que je t'embrasse là c'est ça ?
Mes yeux montent au ciel.
C’est pas ce que je voulais dire. Je voulais pas qu’il croie que notre relation c’est seulement s’embrasser et de l’amour à sens unique.  C’est pas ça.
J’attrape le col de son tee-shirt étoilé et je tire Pablo contre moi. Je ferme les yeux et j’embrasse sa bouche. J’embrasse d’abord avec mes lèvres puis avec ma langue contre la sienne, entre ses dents (je sais que lui aussi voulait m'embrasser).
Ça se termine. Mes paupières retournent à la lumière.
Je pose mes mains sur ses cuisses qui sont de part et d’autre de moi. Je regarde la ficelle de son jogging, puis son tee-shirt, puis son menton, son front. Je fais le tour du monde de son visage avec mes yeux.
- J’crois qu’il faut que tu me laisses du temps. Ça finira par arriver.
Les sentiments plus forts. Le cœur qui veut jamais s’arrêter. Le souffle un peu saccadé. Mais Pablo il faut qu’il comprenne c’est que si je passe tout ce temps avec lui, si je prends le temps de l’embrasser, de porter un jean, de nettoyer mes chaussures pleines de poussière, de ressembler à quelque chose, c’est que je l’aime un peu. Je l’aime à ma façon. Je l’aime n’importe comment, aussi. Je sais pas faire, moi. J’ai jamais eu d’exemple à calquer. J’ai pas lu dans les livres. J’ai pas vu dans les films.
Je dois apprendre tout seul.

Il se dépose tout doucement sur moi, s’étend. Son poids plume m’écrase gentiment. Je le laisse faire, je ne deviens pas une boule de colère, une boule qui dit non, va-t-en. Je le laisse se reposer contre moi. Je pose une main dans son dos, et je la laisse là. C’est comme si elle disait d’accord, je t’accepte tout contre moi et en plus je te protège, je te protège et je ne te lâche pas, je reste ici tant que tu voudras.
Je lui dois bien ça.
J’ai les yeux au plafond. Et je sens la main de Pablo, timide, s’aventurer sur le bord de mon visage. Son doigt glisse sur l’os de ma mâchoire et ça m’arrache comme un sourire.
Si c’est ça l’amour je veux bien y rester quelques heures de plus.
Ses paumes se rassemblent tout contre moi.
- C'est bien comme ça.
Mon menton fait oui.
Oui, c’est vrai que c’est bien comme ça. On pourrait même rester comme ça encore plus longtemps. Dans le silence, avec nos corps qui se chevauchent et qui commencent tout doucement à réellement s’apprécier, à faire naître de petites étincelles entre eux.
- Dis Pablo … c’est comme ça d’être amoureux ?
C’est se faire des câlins, s’embrasser, se parler de temps en temps ?
C’est se promener la nuit ? Se prêter des joggings ? Se lire de la poésie ?
C’est vivre ensemble ?
C’est se regarder dans les yeux et penser très fort qu’on voudrait bien faire le tour du monde avec cette personne ? C’est se prendre la main sans s’en rendre compte ? Est-ce qu’être amoureux c’est s’engueuler de temps en temps, se donner des coups ? Est-ce qu’être amoureux ça passe par la honte d’aimer un autre garçon ? Est-ce qu’on peut aimer sans se voir ?
Est-ce que je peux aimer, moi ?

Ça me fait tout drôle. Très très drôle, même. Je n’ai jamais fait ça avant, j’ai jamais tenu un garçon aussi près de moi, aussi fort contre moi, sauf pour me battre. J’ai jamais eu ce comportement un peu débordant de partout. Ce comportement qui ne sait pas trop ce qu’il désire, comment faire, pourquoi il le fait. Ce corps qui s’agite puis qui se calme. On dirait des montagnes russes et si ça continue je vais avoir le tournis.
Là je tiens Pablo contre moi. Je le serre même un peu avec ma main dans son dos.
Ses cheveux chatouillent même le bout de mon menton.
Ses mains se promènent sur mon torse. Ça me fait chaud même à travers le tissu. Ça me fait chaud dans les joues et dans tout le corps, je crois. Je crois aussi que j’apprécie. Mais ça me fait ressentir des choses étranges. J’ai pas l’habitude, je connais pas. Ça me fait un peu peur, aussi, toutes ces sensations.
- C'est comme ça de tomber amoureux je crois.
C’est ce qu’il dit.
Est-ce que ça veut dire que je tombe amoureux ? Est-ce que mon cœur devient de la guimauve ? Et mon corps, il devient quoi ? Est-ce qu’il devient un bouclier pour celui de Pablo ? Un rempart derrière lequel il pourrait venir s’abriter les jours difficiles ?
Je le touche pas trop.
J’ai juste ma main qui repose sur lui. L’autre dort le long de moi.
Je sais pas trop comment on fait pour toucher les garçons.
- On peut prendre notre temps ?
Il paraît qu’on a toute la vie devant nous. Tous les adultes nous répètent ça.

J’ai fermé les yeux.
Ce que je sens, ce sont les mains de Pablo. Les mains de Pablo qui s’approprient mon corps et qui aiment toucher, sentir, palper. Les mains de Pablo qui s’aventurent dans mes cheveux en petite bataille. Ça me fait un peu des frissons. Mais pas des frissons de peur, non. Plutôt la chair de poule qu’on a quand c’est le bien-être, l’excitation, le fragment de bonheur.
Ça me fait du bien, voilà.
Ça me fait vraiment beaucoup de bien et je crois que je suis prêt à rester comme ça, avec lui sur moi, pendant quelques heures et même quelques jours s’il le faut. Je crois que je suis prêt aussi à l’accueillir dans mes bras quand il sera triste et même quand il sera heureux.
Je suis prêt à faire mon job de plus qu’ami mais pas encore amoureux.
C’est bien la vie avec Pablo.
On se sent reposé, tranquille.
La paix.
Sa bouche dans mon coup dit
- J'aime bien quand t'es habillé comme ça. T'es très beau.
Ça me fait sourire (il a remarqué).
Ma main remonte et caresse aussi ses cheveux. L’autre main vient sur les reins, presque sur les fesses.
- J’aime bien ton combo jogging tee-shirt à étoiles.
Ça te ressemble plus que tes chemises bien repassées, fermées jusqu’en haut. Ça te ressemble plus que tes pantalons qui te vont très bien et tes chaussures très propres. C’est toi.
C’est toi.

- Je te les prêterai si tu veux.
Je hausse une épaule. Je crois que ça me ferait bizarre de porter ses vêtements. Je veux dire, on aurait un comportement de petit-amis, d’amoureux. Et je sais pas vraiment si c’est ce qu’on est tous les deux. Je préfère qu’on soit indéfinissables. Je préfère être Sal Paulson et Pablo Paradise qui jouent à s’embrasser et à se toucher un peu sous les vêtements. Ça dépasse un peu l’ordre du jeu, je crois.
Pablo lève la tête et sort de sa cachette. Je le sais parce que je le sens remuer sur moi. Je rouvre doucement les paupières. Ma main quitte ses cheveux pour venir rejoindre l’autre lorsqu’il commence à m’embrasser. Je me demande quel est le parfum de mes baisers. Je pense qu’ils ne sont pas comme les siens. Ceux de Pablo, c’est un peu un goût de soleil, de sucre, de lumière, de sommeil, de dimanche, de jogging. Un parfum comme ça, à peu de choses près.
Je lui rends tout.
En double, parfois.
Ma bouche sur la sienne et à la commissure de ses lèvres. Ma bouche sur la sienne et sur son menton. Sur la sienne et sur l’os saillant de sa mâchoire. Sur la sienne et dans son cou. Un peu partout sur son visage. Sous les yeux, même. C’est la première fois que j’embrasse quelqu’un sous les yeux, à la naissance des cernes, là où le sommeil à oublier de rendre la peau blanche et rebondie, là où les larmes sèchent.
Je crois que j’aime bien.
J’ai sa joue chaude contre la mienne. Je sens même sa respiration s’échouer quelque part sous ma peau.
Pour la première fois, je ressens une petite contraction dans le ventre. Un quelque chose qui tortille un peu mes organes. Ça continue un peu plus bas, même. Et j’ai pas peur qu’il s’en rende compte, j’ai pas peur, c’est nouveau, ça m’attire. Pablo il doit avoir l’habitude de ces choses-là, avec les autres garçons avec moi.
J’ai l’impression de (re)découvrir mon corps.

Et puis il y a sa main, celle de Pablo, qui vient s’aventurer là où elle n’est jamais venue, là où elle n’a jamais osé. Elle glisse sous mon pull et encore plus sous mon tee-shirt. Sa main froide sur la peau de mon ventre. Ça me fait contracter tous les muscles de mon corps. Des frissons de la racine des cheveux jusqu’aux orteils. On m’avait jamais touché comme ça. De façon aussi … aussi
amoureuse …
Je respire très fort.
J’ai même mon cœur qui rate quelques battements. Il sait plus quoi faire, le pauvre. Il se débat depuis tout à l’heure parce qu’à cause ou grâce) à Pablo je lui impose un tas de gestes auxquels il n’était pas habitué.
Mais c’est bon de brusquer ses habitudes (surtout avec quelqu’un).
Il a toujours sa main sur moi, contre moi, entre le tee-shirt et ma peau.
- Pourquoi t’es venu ? Vraiment ?
Je hausse les épaules.
J’ai pas vraiment de raison. Mon dimanche après-midi avait pas vraiment d’intérêt alors je me suis dis que si je faisais l’effort de venir il prendrait une toute autre couleur. Il serait moins gris, plus ensoleillé, moins chiant, plein de rebondissement. J’ai eu raison.
- J’avais envie de te voir.
Je dis.
Et c’est vrai. J’avais vraiment envie de le voir, de passer du temps avec lui, de le toucher (un peu), de l’embrasser (beaucoup), le découvrir, faire des trucs avec lui. Un tout plein de choses.
Je passe aussi mes mains sous son tee-shirt. Des hanches jusqu’aux dénivelés que forment ses côtes sous sa peau tendue. Pour la première fois, vraiment, j’apprends à aimer son corps avec mes mains. J’apprends la forme de sa taille, de ses os, de son dos aussi. C’est un terrain tout à fait inconnu. J’ai les sourcils un peu froncés parce que je m’applique à bien faire avec mes paumes de garçons qui ont touché rien que des filles avant lui.
Et puis je le trouve très beau.

Depuis que j’ai franchi les portes de sa grande et belle maison, Pablo n’arrête pas. Il n’arrête pas de sourire. Sa bouche s’étire à l’infini pour venir toucher ses deux oreilles et on dirait qu’il est impossible de l’effacer, de rendre ses doigts comme de la gomme pour le lui enlever. Il a l’air heureux, ravi. Je pense aussi qu’il faudrait prendre des photos de son visage car ses yeux sont plein de paillettes et je sais que les paillettes comme celles-ci son éphémères, qu’il faut les entretenir.
- Fronce pas les sourcils comme ça.
Son pouce efface le dessin grognon de mon visage.
Je hoche la tête, un peu bêtement. Comme pour dire oui, tout ce que tu veux.
On se sépare un peu et il enlève son tee-shirt. Je reste à le fixer avec toujours autant d’abrutissement sur son visage. Mes yeux font le tour de son torse. D’abord les épaules, puis les tétons, puis le dessin de ses côtes, ses grains de beauté collés à la pâleur de sa peau, son nombril, la ligne de poils qui disparaît sous son jogging, aussi.
Je crois que je dois faire comme lui.
Je me redresse un peu aussi et j’enlève mon pull et mon tee-shirt dans une position presque assise, presque allongée. Mes mains retournent chercher dans le dos de Pablo et
oh
J’ai de l’électricité dans tous les corps. Plein de petits signaux qui s’activent à son contact. Ça allume des millions de voyants dans la machine de mon cerveau. Ma respiration ralentit même si mon corps se bat comme un dingue à l’intérieur de ma poitrine. Mes mains restent dans son dos parce que j’ose pas les mettre ailleurs, j’ose pas le toucher plus que ça. C’est que …
C’est tout nouveau les garçons pour moi. Un terrain inconnu et pourtant très connu. Très connu parce que le corps de Pablo est foutu comme le mien, à peu de choses près. Et pourtant je le regarde comme si c’était une œuvre d’art, comme si c’était la plus belle pièce d’un musée.
Je l’aurai jamais pensé avant lui.
Lui qui m’a appris à voir autre chose que la surface du monde.

J’inspire et j’expire tout doucement.
Comme avant une bataille. C’est ce que je suis en train de devenir autre chose. Un tout nouveau Sal Paulson tout en paillettes et poésie mais avec toujours ce même aspect goudron et bitume des premières visions. Dans le regard de Pablo j’ai l’air incroyable, j’ai l’air d’autre chose qu’un garçon de seize ans et ça me colorie les joues d’un rose timide.
Pablo se débrouille avec son corps et son visage et je sens ses lèvres qui se posent un peu partout sur moi et je me sens à la fois bien heureux et mal à l’aise : c’est étrange. J’ai peur que quelqu’un rentre, quelqu’un comme le grand frère. C’est n’importe quoi parce que c’est impossible mais j’ai ce maelström de sensations au fond du ventre que je n’arrive pas à contrôler.
C’est un mélange de vide et de trop plein.
Sa bouche se promène sur mon torse, elle épouse là où mon cœur bat plus fort que d’habitude, au milieu du ventre et à des endroits très précis. J’ai les bras contractés le long de mon corps et je ne sais pas quoi faire de mes mains à part serrer les draps très très fort.
- On peut en rester là pour aujourd'hui, si tu veux.
Je hoche la tête. Les joues de Pablo sont comme deux grosses braises. Il est un peu loin de moi et je tends la main pour effleurer sa bouche et le dessin de sa mâchoire du bout de mes doigts. Je fronce un peu les sourcils et regarde le rocher de son menton.
- Je veux bien, oui.
Je veux bien qu’on se touche les mains, le visage, les oreilles, les cheveux, les épaules et un peu le dos.
Je veux bien qu’on reste cachés sous les vêtements.
Mais dès que je me découvre j’ai une toute petite peur qui me serre le ventre, qui s’accroche fermement à mes entrailles. Ça ressemble à de la pudeur. La crainte toute mince d’être nu ou à demi-nu devant l’autre.
Et pourtant …
Pablo, c’est différent.

- D'accord. C'est pas grave. On a le temps.
Je ne réponds rien.
Je crois que je suis un peu content qu’il ne me force pas. Qu’il ne m’oblige pas à aller plus loin, qu’il ne me pousse pas dans le vide, vers là où je ne connais pas. Pour moi c’est déjà énorme d’être là, torse nu, devant lui avec mes yeux qu’on dirait de la limonade et la température dans la chambre qui a grimpé d’au moins dix degrés.
- T'es déjà très beau torse nu.
Je hoche un peu le menton et je crois que ça veut dire oui toi aussi tu es beau sans ton tee-shirt et merci on me l’avait jamais dit. C’est que les fois où j’ai fait l’amour c’était avec des filles et y avait même pas d’amour. C’est que les fois où j’avais plus de vêtements sur moi c’est que j’avais trop de saloperie dans le sang pour pouvoir me rappeler le lendemain.
Des trous noirs dans la tête.
Pablo chasse les mauvaises pensées lorsqu’il s’approche de mon visage. Il a un sourire immense sur le visage, je le vois et puis je le sens même quand j’ai les yeux fermés parce qu’il m’embrasse. Nos langues se chatouillent un peu et je lui renvoie toute la force de son désir en embrassant très fort ses lèvres moi aussi. Pour lui montrer que oui, je suis capable. Je suis capable de l’embrasser et surtout d’embrasser un garçon. Je peux me moquer des homosexuels mais j’embrasse un garçon. Je peux le traiter de tapette mais j’embrasse un garçon.
Et même que mes mains aiment caresser dans son dos.
Chercher les omoplates.
Glisser sur la colonne vertébrale.
Faire le tour du monde de Pablo avec les mains.
Je prends son visage dans mes paumes et je le regarde. Je le regarde sans flancher, sans rougir, je le regarde avec les tripes et je l’oblige à me regarder aussi. Mes pouces caressent un peu ses tempes jusqu’à la fin de ses sourcils.
- C’est joli tes tâches de rousseur.

C’est la première fois qu’on me montre les gestes. C’est la première fois que je sais pas comment me comporter, comment faire face, comme regarder, comment toucher, comment sentir, comment dire. Heureusement que Pablo sait y faire, avec les garçons. Heureusement que c’est pas un novice. Mais ça me fait tout drôle. D’habitude c’est moi qui prend la main et qui montre aux autres, c’est moi qui dit : on va dans cette direction. J’ai jamais eu peur, j’ai toujours été très grand, très haut.
Mais là je me sens vraiment minuscule face au sourire immense de Pablo.
Et je me sens encore plus petit quand il parvient à nous faire basculer, tout doucement, et que je me retrouve sur lui, les joues un peu rouge timide de pas trop savoir, d’être ignorant. Je me sens tout petit garçon et je crois que ça ne me déplaît pas vraiment. Je respire un peu fort. J’aime bien le regarder.
Et puis je sens ses mains qui viennent s’aventurer entre mon jean et mon caleçon. Je me sens un peu mal à l’aise. Je me sens mal à l’aise parce que d’habitude c’est des filles, et elles le font pas comme ça. Elles ont jamais eu cette façon de me toucher et de me regarder en même temps. J’ai l’impression d’être autre chose qu’une racaille.
- J'suis content que tu sois là. Faudra que tu reviennes hein.
Je hoche doucement la tête. Je prends ses poignets et je retire doucement ses mains, je les pose plutôt sur mon jean. Moi je retourne embrasser sa bouche une puis deux fois.
- Promis. Tu peux venir chez moi, aussi.
Ça ressemble pas à son palace et j’ai pas de lit deux places. Mais mon frère est pas toujours là. Et puis j’ai pas de parents. Pas de surveillance. Il peut venir à la maison quand il veut, on pourra reregarder Drive en se touchant un peu plus cette fois-ci, et on pourrait même enlever nos pantalons.

Je reste dans son cou, là, tranquille, les paupières fermées. Je me repose. Je pense à tout ça. À Pablo, à moi. Et je me demande : qui l’aurait cru ? Moi le dernier. Jamais de la vie je me suis imaginé dans les bras d’un garçon, torse nu contre son torse nu, à l’embrasser sur la bouche et sur le visage en lui proposant que la prochaine fois ce sera chez moi.
J’suis pas malheureux comme ça.
Au contraire.
Les doigts de Pablo s’amusent sur ma peau. Je le laisse faire, je le laisse se promener. Faut bien qu’on apprenne, faut bien qu’on s’apprenne. Moi le premier. Mais mes mains sont un peu plus timides, elles savent pas trop faire et puis elles osent pas.
- Sal, ton ... ton histoire de faire des trucs sans penser aux répercussions ça veut dire que si demain au lycée j'ai envie de prendre ta main pour aller dehors pour que tu fumes, je peux ?
Je me redresse et je roule un peu sur le côté, à côté de lui. Je regarde son plafond et je réfléchis. C’est vrai que j’ai dis ça. Me tenir la main au lycée. Me tenir la main. Au lycée. Ça me fait un peu rougir, j’ai envie de lui dire non, pas au lycée, pas devant les autres. Dans un coin, là où y’a personne, peut-être bien que oui. Puis on serait pas les seuls garçons à faire, ça. Non. J’en ai vu d’autres.
Mais je sais pas si je suis tout à fait … comme Pablo.
- Je … Je sais pas.
Je réponds ça avec la voix mal assurée.
C’est nul.
C’est pas ce qu’il avait envie d’entendre.
Je me tourne vers lui et mes doigts se promènent sur les veines un peu enflées de ses bras. Je dessine les courbes de ses vaisseaux sanguins, du poignet jusqu’au creux du coude, puis je récupère ma main.
- On … on pourra essayer.
C’est mon cœur d’aventurier qui parle. Et puis de toute façon, on s’en fout, des autres. J’ai qu’un ami, et cet ami c’est Pablo. Les autres garçons, c’est à peine si je connais leurs prénoms. J’en sais pas tellement plus de Pablo, d’ailleurs. Mais lui, lui ça compte pas.
Il rentre dans aucune catégorie.
Et j’aime ça.