Tu te bats gentiment avec la pâte. Ça colle aux doigts.
De temps en temps, tu remontes tes lunettes qui glissent le long de ton nez.
Tu sais pas trop pourquoi t’es là.
Tu sais plus trop s’ils t’ont demandé de venir, ou si tu t’es proposé.
En tout cas, ça t’occupe l’esprit. Tu voudrais bien boire quelque chose. Mais tu ne penses pas qu’ils seront d’accord. Et puis c’est pour ton bien. Tu l’as compris, que ça n’allait pas t’aider. Juste te faire creuser un peu plus bas encore. Mais ça t’occuperait la tête. Puis c’était agréable quand tu te noyais le cerveau jusqu’à ne plus pouvoir bouger. Puis quand la réalité te frappait en pleine face, lorsque tu parvenais à décuver. C’était comment ? Tu te perds, Eddie. Quelque part, tu cherchais juste à t’anesthésier l’esprit.  
Alors, tu as étalé la pâte que tu travaillais. Tu l’étends, sur le plan de travail. Doucement.
« Tu veux qu’on en fasse ensemble ? » que tu as demandé au gamin que tu avais aperçu à tes côtés. Peut-être qu’il faut tenter de l’intégrer. Peut-être que ça lui changera les idées. Tout comme à toi. Peut-être qu’il n’attend que ça. Tu tentes un sourire. Un peu de travers, du crois. C’est pour vous rassurer. Au moins pour essayer.
Il t’effraie.
Il est plein de haine.
Parfois.
La dernière fois.
« C’est quoi, ton prénom, déjà ? »
Il y a plein de colère en lui, tu crois. Une colère que tu ne comprends pas. Une colère face à laquelle tu ne peux rien tenter. Il t’aurait presque fait pleurer. C’est un enfant fleur. A la tige épineuse. C’est un ouragan. Avec un peu de calme en son centre. Peut-être qu’il est violent. Avec le monde et contre le temps.
« Il y a des framboises à côté de toi, je crois. Je peux … mettre la pâte dans les petits moules, et toi tu … Tu mets la crème pâtissière et les framboises dessus, si tu veux ? »

« Oui, pourquoi pas ! » Tu tentes un autre sourire. Presque confiant. Il a l’air dans un bon jour, cette fois.
Enfin tu sais pas.
Il semble agité.
Comme à chaque fois.
Peut-être que, sans prévenir encore, il pourrait déraper.
Faut pas.
Tu es déjà trop en colère contre toi pour essayer de soigner celles des autres.
« Kapi, Kapi, Kapi. » Ah oui. Tu hoches la tête. Pour montrer que tu as compris. Lui c’est Kapi, toi c’est Eddie. Si tu arrives à te l’incruster au fond de ta tête, ça ne devrait pas être trop compliqué.
Tu t’es mis à mettre ta pâte aplatie dans les moules.
Tu as été cherché ceux qui cuisaient dans le four, un instant. Tu lui tends la grille, doucement. « Tu te brûles pas, hein. »
Il bouge. Un peu partout. On dirait un lutin trop agité.
Tu as peur qu’il se fasse du mal, à force de gigoter.
Du coin de l’œil, tu observes ses jambes remuer.
« Ça va ? » que tu finis malgré tout par demander. Intrigué.
Vous devez former un étrange duo.
Lui trop agité.
Toi trop calme.
Mais il semble plein de vie.
Ça attire ton regard, un peu.
Peut-être qu’il s’ennuie, à jouer ton jeu.
Tu remets d’autres fonds de tartelettes dans le four.
« Ça te plait ? »

« J'ai l'air bizarre ? »
Tu as eu un léger sourire.
Peut-être un peu nerveux.
« Un peu. »
Franchise.
Tu crains qu’il ne le prenne mal. Puis qu’il s’énerve. Comme ça.
« Mais t’es pas comme les autres, comme ça. C’est pas forcément un mal. » que tu ajoutes. Avec un petit sourire. Pour te rattraper, un peu. Au moins essayer.
Il soupire. « Oui ça me plait mais je ne ferais pas ça toute ma vie. » Tu secoues la tête en étirant encore tes lèvres.
Toi non plus, tu ne passerais pas ton temps à faire ça, au fond.
Tu préfères dessiner.
Et aller voir la mer.

« Dis-moi garçon à lunette, c'est quoi ton nom ? »
Il a oublié, lui aussi.
Ou peut-être que tu ne lui as jamais vraiment dit.
« Eddie. »
Kapi.
Eddie.
Kapi et Eddie. Eddie et Kapi.
Les présentations sont faites, maintenant. Pour de vrai.
« On se connait pas déjà dis ? » Tu hoches positivement la tête. Oui, tu le connais. Un peu. Tu t’en souviens, du moins. « Mais tu étais en colère, alors je crois qu’on n’a pas trop bavardé. » Puis ça t’avait fait peur. Tu t’étais retrouvé, incapable, à gribouiller. Un peu effrayé. Paniqué à l’idée de le voir hors de contrôle comme il l’avait été. « Pourquoi tu l’étais ? »
Tu aurais peut-être pas dû demander.
Alors tu baisses la tête, un peu. Et tu termines d’arranger la pâte qu’il te reste.
« C’est presque fini. »
Tu sors les autres, pour mettre les dernières dans le four. Tu regardes celles que le jeune garçon a terminé. Tu lui souris.
« Tu te débrouilles bien. Elles sont jolies. »
C’est vrai, tu penses.
Puis c’est bien, de féliciter les autres.
Ca redonne peut-être confiance.
« On pourra les manger ce midi. »